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28 août 2015 5 28 /08 /août /2015 16:21

 

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

à lire sur TheGuardian.com (en anglais) 28/08/2015 à 11h42
Le gouvernement égyptien ouvre un blog contre la « vérité partielle » des médias

 

 

 

Le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Hassan Shoukry ouvre un blog, et pas pour poster ses photos de vacances. Le gouvernement égyptien veut « proposer un récit plus objectif des événements en Egypte, pour ceux qui cherchent autre chose qu’une vérité seulement partielle ».

Cette « vérité partielle », selon les autorités égyptiennes, c’est celle que relaient les médias internationaux.

A propos de la création du Egypt MFA Blog, voici ce qu’explique le gouvernement :

« Dans un monde d’évolutions et de changements rapides, ce blog vise à assurer une meilleure interaction avec le grand public et une connexion plus efficace avec le monde extérieur. Pour ce faire, le blog cherchera aussi à représenter de manière fidèle les développements économiques, politiques et sociaux de l’Egypte, de manière ponctuelle et interactive. C’est un outil pour compléter les chaînes d’information officielles et pour éviter les choix éditoriaux labyrinthiques des médias traditionnels à l’international. »

Contre les « campagnes de diffamation »

Autrement dit, le gouvernement égyptien cherche à donner sa version des faits. Le porte-parole du ministre des Affaires étrangères, Ahmed Abou Zeid, dénonce des « campagnes de diffamation dans les médias, menées par certains organes de presse étrangers à propos des questions politiques, économiques, et de sécurité en Egypte ».

Le ministère des Affaires étrangères pourrait faire référence (entre autres) à la couverture par la chaîne américaine CNN de l’enlèvement en Egypte d’un otage croate, Tomislav Salopek, par l’Etat islamique autoproclamé. Le ministre des Affaires étrangères avait déploré une couverture médiatique biaisée de l’événement par CNN :

« Le reportage a parlé d’une propagation du chaos et du terrorisme, et de l’absence de pouvoir de l’Etat égyptien, d’une manière extrêmement sarcastique et bien loin de l’objectivité, du professionnalisme et de l’honnêteté. »

Le reportage de la chaîne américaine décrit la péninsule du Sinaï comme une zone incontrôlable, qui ne cesse de s’étendre, ce à quoi Sameh Shoukry répondait, piqué au vif, que la zone concernée par les activités terroristes dans la péninsule du Sinaï n’excédait pas 5% du territoire, et qu’il était bien mal avisé d’en déduire une forme d’impuissance du gouvernement égyptien.

Faisant référence aux attentats au siège de Charlie Hebdo et lors du marathon de Boston, il disait :

« Il est surprenant de voir que cet incident est utilisé pour prouver l’impuissance de l’Etat égyptien, alors même qu’on ne tire pas les mêmes conclusions quand des incidents similaires se produisent dans les sociétés occidentales. »

Un blog exclusivement en anglais

Cité par le Guardian, Jannis Grimm, chercheur spécialiste du Moyen-Orient et du nord de l’Afrique, explique avoir des doutes sur le véritable impact du blog du gouvernement sur l’opinion égyptienne, étant donné qu’il est écrit uniquement en anglais et pas en arabe. La traduction des textes en arabe pourrait permettre aux internautes non-anglophones de réagir aux affirmations du gouvernement. Mais Jannis Grimm ajoute :

« Je pense qu’il est très improbable que ça arrive, étant donné que dans les journaux bilingues en Egypte, on trouve des récits et des formulations différentes pour les deux types de lecteurs (étrangers et locaux). »

Contacté par le Guardian, le ministre a refusé d’indiquer si les non-Egyptiens seraient autorisés à contribuer à ce blog lancé par le gouvernement, pourtant officiellement destiné à assurer une « connexion plus efficace avec le monde extérieur ».

 

Lire sur TheGuardian.com (en anglais)

 

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

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6 août 2015 4 06 /08 /août /2015 20:58

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Hollande en Egypte, un voyage à la gloire de Sissi et des Rafale

|  Par Lénaïg Bredoux

 

 

 

Le président français est l’invité d’honneur de l’inauguration en grande pompe du nouveau canal de Suez. Un projet porté par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, à qui la France est parvenue à vendre ses Rafale. Tant pis pour les droits de l’homme et la démocratie.

 

Les avions de chasse et le navire de guerre ont été livrés à temps. Jeudi 6 août, le président-maréchal égyptien Abdel Fattah al-Sissi va contempler, avec François Hollande à ses côtés, sa grande œuvre : le nouveau canal de Suez, pour lequel trois des Rafale et la frégate multimissions Fremm, achetés par l’Égypte à la France, vont parader. Une cérémonie qui symbolise le « partenariat stratégique » noué entre les deux pays, en dépit de la violente répression organisée par le régime égyptien.

Il s’agit de la première visite de François Hollande en Égypte depuis son élection. Outre le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), le président français sera accompagné d’industriels : le PDG de Dassault Aviation (les Rafale), celui de DNCS (la frégate), celui de MBDA (les missiles), le directeur général de Safran et le PDG de Thales seront du voyage.

De son côté, l’Égypte a fait de la France l’invitée d’honneur d’une cérémonie tout à la gloire de Sissi, à laquelle participeront plusieurs chefs d'État africains, ainsi que le premier ministre grec, Alexis Tsipras. Le nouveau canal de Suez, dont le premier tronçon a été inspiré, à la fin du XIXe siècle, par le Français Ferdinand de Lesseps, a été réalisé en un temps record – un an seulement – à grand renfort d’exaltation nationaliste. Pour Abdel Fattah al-Sissi, c'est une consécration et le symbole de son retour en grâce sur la scène internationale.

Il y a deux ans, il faisait encore figure de paria. En juillet 2013, François Hollande se rend à Tunis pour la première fois depuis son élection dans la capitale du pays qui a lancé les « printemps arabes ». Au palais de Carthage, c’est un ancien militant des droits de l’homme, Moncef Marzouki, qui l'accueille. À l’issue de leur entretien, les deux dirigeants sont interrogés sur l’Égypte. Au Caire, la situation est chaotique : le premier président démocratiquement élu de l’histoire de l’Égypte (et le seul à ce jour) Mohamed Morsi vient d’être destitué après d’imposantes manifestations populaires. Mais c’est l’armée et Sissi qui en profitent.

 

 

Hollande est prudent dans son expression, mais il condamne la prise de pouvoir par l’armée : « Ce qui se passe en Égypte est un processus qui s’est arrêté et qui doit donc recommencer. Nous avons l’obligation de faire que le peuple égyptien puisse de nouveau retrouver espoir, dans la démocratie, dans le pluralisme, dans des élections libres. » Avant d’ajouter : « Pour dire les choses franchement, quand il se passe ce qui se passe en Égypte, c’est forcément un aveu d’échec. » En off, ses conseillers expliquent aux journalistes présents que la France considère qu’il s’agit bien d’un coup d’État mais que le président évite d’user du mot en raison de la législation américaine empêchant de soutenir financièrement les gouvernements qui en seraient issus. Le PS continue, lui, de parler d’un « coup d’État militaire ».

À l’Élysée, tout a changé. « Nous considérons que Sissi est légitime », explique-t-on désormais dans l’entourage du chef de l’État. Le maréchal a été reçu en visite officielle à Paris, en novembre 2014. Devant la presse, François Hollande a rendu un hommage appuyé à l’Égypte, sans souffler mot des droits de l’homme : il s’agit d’un « grand pays ami de la France. Un pays avec lequel nous sommes liés par l’Histoire, liés aussi par une commune appréciation de ce que peut être l’équilibre du monde ». Et le chef de l’État d’aller jusqu’à laisser croire que le processus révolutionnaire est toujours à l’œuvre : « Nous souhaitons que le processus de transition démocratique se poursuive, qui respecte la feuille de route, et permettant pleinement la réussite de l’Égypte. »

 

 

Quelques mois plus tard, c’est avec une fierté non dissimulée que François Hollande annoncera la vente de 24 Rafale à l’Égypte, ainsi que d’une frégate multimissions et de missiles pour un montant total de 5 milliards d’euros. C’est la première fois qu’un président français parvient à exporter l’avion de chasse de Dassault – depuis, le Qatar s’est lui aussi porté acquéreur et l’Inde continue de négocier. Le contrat a été signé en février au Caire en présence de Jean-Yves Le Drian, le ministre de la défense, qui ne tarit pas d’éloges sur le régime égyptien. Fin juin, lors de la cérémonie de transfert de la frégate Fremm à Lorient, il a de nouveau salué « une relation privilégiée qui s’est construite au plus haut niveau de nos pays, directement de nos deux chefs d’État », évoquant le « partenaire stratégique égyptien ».

Pour Paris, c’est bien sûr une affaire de gros sous. Mais pas seulement. La lutte contre le terrorisme est devenue l’obsession des autorités françaises – Hollande a engagé les troupes dans trois guerres, au Mali, en Centrafrique et en Irak –, et le prisme à travers lequel la France juge de ses intérêts immédiats. Très vite, depuis son élection, le président français a semblé baigner dans un univers empreint de néoconservatisme, quitte à s’empêtrer dans les contradictions.

S’il a salué la transition démocratique en Tunisie en 2013, il n’a eu de cesse de vanter la « stabilité » du Maroc et de l’Algérie (où il s’est rendu à deux reprises). Et si Paris continue de juger que Bachar al-Assad n’a plus aucune légitimité, l’Égypte, l’Arabie saoudite ou le Tchad sont de précieux alliés de la France. À Paris, l’idée qu’une bonne vieille dictature est certes peu fréquentable, mais bien pratique pour assurer la sécurité régionale est de nouveau en vogue. Elle n’avait jamais disparu mais les printemps arabes l’avaient temporairement démodée.

« Notre relation de défense symbolise enfin la reconnaissance par la France du rôle central que joue l’Égypte pour la sécurité de la région, expliquait Jean-Yves Le Drian le 23 juin dernier. Tandis que se développent, en Afrique et au Proche et Moyen-Orient, des menaces terroristes sans précédent, les forces armées égyptiennes apparaissent comme un facteur de stabilité incontournable. » Et le ministre de la défense de citer la Libye, « aux frontières occidentales de l’Égypte, où l’extension de Daech et des autres groupes terroristes constitue une source d’inquiétude grave, pour les deux rives de la Méditerranée », l’Irak et la Syrie.

« Une répression qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’Egypte moderne »

La visite présidentielle du 6 août est dans la droite ligne : « La participation du chef de l’État à cet événement majeur pour l’Égypte revêt un caractère historique fort et traduit l’attachement des deux pays à la qualité de la relation franco- égyptienne », explique l’Élysée. Avec deux arguments : « L’Égypte reste un acteur régional de premier plan dans la gestion des conflits au Moyen-Orient : conflit israélo-palestinien et situation à Gaza, crises syrienne et libyenne, intervention militaire au Yémen au sein de la coalition régionale… (…) D’autre part, l’Égypte a opéré un retour sur la scène africaine, notamment dans la lutte contre le dérèglement climatique. » Pour Paris, « l’Égypte est, comme la France, victime du terrorisme », un terme pourtant utilisé au Caire pour caractériser toute l’opposition à Sissi, notamment les Frères musulmans.

En février, le porte-parole du Quai d’Orsay, interrogé sur les violations des droits de l’homme, tenait le même raisonnement : « L'Égypte joue un rôle majeur pour la stabilité de la région. Nous sommes solidaires face au terrorisme qui est notre ennemi commun. » Avant d’ajouter : « Notre dialogue avec l’Égypte est franc et direct comme il sied entre des pays amis. Nous abordons tous les sujets, y compris la situation des droits de l’Homme. Nous continuerons de le faire chaque fois que nous le jugerons nécessaire. »

Régulièrement, quand la diplomatie française est interrogée, elle condamne les violations les plus flagrantes. « La France condamne les violences qui ont marqué les manifestations à l'occasion du quatrième anniversaire de la révolution du 25 janvier 2011 et rappelle son attachement au respect de la liberté de rassemblement et de manifestation pacifique », expliquait le Quai d’Orsay en janvier dernier, après la mort de plusieurs opposants au régime, dont Chaima al-Sabbagh. Même chose lors de l’annonce de la condamnation à mort de l’ancien président Morsi. « La France rappelle son opposition à la peine de mort, en tous lieux et en toutes circonstances », selon le porte-parole du Quai d’Orsay interrogé par la presse en juin dernier. En novembre dernier, et en off, l’Élysée estimait aussi que « nous sommes conscients des tensions, les journalistes emprisonnés, la répression qui s'exerce bien au-delà de la lutte antiterroriste ». Selon L’Obs, Hollande a fini par glisser quelques mots à ce sujet à Sissi lors de sa visite à Paris. Mais sans en tirer la moindre conséquence.

 

François Hollande et Abdel Fattah al-Sissi en novembre 2014 à l'ElyséeFrançois Hollande et Abdel Fattah al-Sissi en novembre 2014 à l'Elysée © présidence de la République
 

En Égypte, la situation est pourtant dramatique. Balayée par les printemps arabes en 2011, la dictature de Moubarak est réapparue sous les traits du maréchal Sissi. Toutes les ONG, égyptiennes et internationales, ont documenté ces derniers mois les emprisonnements d’opposants, les violences faites aux femmes, les condamnations à la peine de mort, les intimidations de journalistes, etc. « Les autorités égyptiennes ont emprisonné plus de 41 000 personnes, selon des chercheurs indépendants dignes de foi, depuis qu'al-Sissi – alors ministre de la défense – a pris la tête du mouvement qui en juillet 2013 a renversé Mohamed Morsi, le premier président civil librement élu de l'histoire de l'Égypte. Environ 29 000 des personnes emprisonnées sont des membres ou des partisans des Frères musulmans, le plus important mouvement d'opposition d'Égypte », écrit Human Rights Watch dans son dernier rapport (évidemment qualifié de partial et de soutien aux terroristes par les autorités égyptiennes).

« Depuis sa prise de pouvoir en juillet 2013, le général Abdel Fattah al-Sissi orchestre une répression qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’Égypte moderne », estime également la FIDH. Karim Lahidji, son président, détaille : « Plus de 670 condamnations à mort ont été prononcées à l’issue de procès de masse dignes d’une mascarade. Toute réunion de plus de dix personnes non autorisée par le ministère de l’intérieur est interdite. Sous le coup de divers ultimatums, amendements pénaux et mesures de rétorsion, les ONG indépendantes, parmi lesquelles plusieurs membres de la FIDH, attendent le couperet qui menace d’envoyer leurs membres en prison à vie au motif qu’ils reçoivent des fonds étrangers dans le but de nuire à “l’intérêt national”. Comme le montre un rapport récent publié par la FIDH, les violences sexuelles perpétrées par les forces de sécurité policières et militaires contre les hommes et les femmes se sont généralisées, à proportion de la multiplication des arrestations. » Même constat pour Amnesty qui avait lancé en novembre une campagne appelant François Hollande à ne plus vendre d’armes à l’Égypte. L’ONG n’a pas été entendue.

Selon Reporters sans frontières, « avec au moins 15 journalistes derrière les barreaux en raison de leurs activités professionnelles, l’Égypte est l’une des plus grandes prisons du monde pour les professionnels des médias après la Chine, l’Érythrée et l’Iran ». Le pays figure à la 158e place sur 180 du Classement mondial 2015 de la liberté de la presse. Le procès des journalistes d’Al-Jazeera vient une nouvelle fois d’être reporté. Comble de l’ironie, la France s’est elle aussi prêté au jeu de la répression égyptienne : en février dernier, les journalistes du Monde n’avaient pas été accrédités par le service de presse du ministère français de la défense pour assister au Caire à la signature de l’accord signant la vente des Rafale à l’Égypte. « Une décision injustifiable », avait protesté le quotidien, qui avait rappelé les violations des droits de l’homme en Égypte dans un éditorial intitulé « Vendez des Rafale, pas des salades ». Trois Rafale ont été livrés le 21 juillet à l’Égypte. Les trois prochains le seront début 2016.

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

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27 avril 2015 1 27 /04 /avril /2015 15:22


Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

Egypte 27/04/2015 à 16h09
Tahrir Academy, l’école virtuelle des jeunes Egyptiens

 

 
 

Former « une génération de penseurs critiques, de chercheurs de connaissance et de futurs dirigeants », tel est l’objectif de la plateforme égyptienne de cours en ligne Tahrir Academy. Inspiré par le succès du site Khan Academy, le cyberactiviste Wael Ghonim, rendu célèbre par les mouvements qui ont agité l’Egypte en 2011, a fait part de son idée à Seif Abou Zaid, qui a mis en place le projet en en devenant le PDG. Le site, fondé en février 2012, propose des leçons prodiguées en arabe sous forme de vidéos.

 

Page d’accueil du site Tahrir Academy (capture d’écran)

 

Tout comme Wikipédia, le service est basé sur le crowdsourcing. De nombreux bénévoles, hommes et femmes, élaborent des cours destinés aux jeunes de 13 à 18 ans. Le site, dépendant de l’organisation à but non lucratif Nabadat, a gagné lundi 20 avril le prix de la meilleure start-up d’entreprenariat social dans le monde arabe du MIT (Massachusetts Institute of Technology), avec à la clé un chèque de 10 000 dollars, soit un peu plus de 9 300 euros.

Un site ludique et interactif

Tahrir Academy est la preuve que les cyberactivistes ne se sont pas découragés, successivement face au régime islamiste de Mohamed Morsi et à celui, militaire, d’Abdel Fattah Al-Sissi. Ils s’attachent ici aux fondements de la démocratie par le biais de sa pierre angulaire : l’éducation. Le site explicite ses valeurs :

« Il n’y a pas qu’une source de connaissance. Il n’y a pas de condition à l’apprentissage ; tout être humain a le droit d’apprendre peu importe son âge ou sa classe sociale. Apprendre l’esprit critique est crucial pour qu’une personne puisse penser choisir et décider. »

Même si le site propose de pallier les défaillances du système éducatif égyptien essentiellement basé sur la mémorisation, il ne se considère pas comme une alternative à ce dernier. Lorsque nous demandons à Hala Hamouda, spécialiste marketing de Tahrir Academy, si elle n’a pas peur du gouvernement, elle répond :

« Nous n’avons aucune crainte, au contraire. En fait, nous tentons d’approcher le ministère de l’Education pour établir un partenariat. [...] Mais bien sûr cela demandera beaucoup de temps et d’efforts. »

 

Un cours sur les météorites (capture d’écran)

 

L’organisation a tenté de joindre le gouvernement a plusieurs reprises mais n’a pour le moment obtenu aucune réponse.

Les vidéos couvrent une large gamme de disciplines, allant de la chimie à l’histoire en passant par la grammaire et l’informatique. Hala Hamouda constate que les élèves apprécient le caractère ludique et interactif du site :

« Les élèves réagissent très bien aux cours et aux différents outils d’apprentissage que nous proposons (tels que des quiz, des documents audio, des infographies) [...] chaque élève dispose d’un score et il obtient des points lorsqu’il apprend une leçon, répond à un quiz, pose une question ou écrit une réponse sur le forum de discussion, ou quand ils font un retour sur la leçon et qu’ils la partagent sur les réseaux sociaux. »

Même si la tranche d’âge visée par le site est celle des 13-18, des adultes n’hésitent pas à consulter les vidéos :

« Même des étudiants plus âgés [...] peuvent bénéficier des leçons de Tahrir Academy s’ils veulent connaître quelque chose qu’ils n’ont pas eu la chance d’apprendre par le passé. Nous avons aussi des leçons supplémentaires dans la section “général” dont tout le monde peut bénéficier [...] présentant des sujets tels que l’entreprenariat, la santé, l’utilisation d’Internet. »

 

Des enseignements contrôlés

N’importe qui peut se porter volontaire pour donner des cours mais les vidéos ne sont jamais postées avant d’avoir été préalablement vérifiées par des experts. Hala Hamouda précise :

« Ce n’est pas une obligation pour le candidat d’être un vrai professeur, mais nous prenons en compte ses antécédents scolaires. Par exemple le présentateur de nos nouvelles leçons de génétique est un physicien, et celui de la dernière vidéo d’algèbre, un ingénieur. Leur présentation se base sur un script révisé en interne par une équipe de chercheurs et par des experts réputés détenteurs de l’équivalent d’un doctorat, garantissant ainsi la pertinence de l’information. »

L’objectif est élevé. Comment mettre en place des cours qui donneraient à leurs spectateurs le moyen de poser un autre regard sur la connaissance et d’acquérir un esprit critique ?

 

 

 

Exemple de cours de Tahrir Academy (en arabe) Merci à Majed Khreim

 

L’exemple fourni par la vidéo ci-dessus est frappant. La jeune professeure ne parle ni tout à fait d’histoire, ni tout à fait de science. Elle explique comment la science, surtout depuis la maîtrise de l’ADN et les découvertes sur le génome, peut servir les recherches archéologiques :

« D’où viennent nos connaissances en Histoire ? Des peintures sur les murs [...], des os que l’on a retrouvés ? »

En somme, il s’agit d’un « méta-cours » sur l’intérêt de comprendre comment la recherche fonctionne et évolue.

 

Un succès à nuancer

Fin 2012, Tahrir Academy comptabilisait déjà plus de 3 millions de vues sur sa chaîne YouTube et 600 000 fans sur Facebook. Ces chiffres ont cependant stagné jusqu’à aujourd’hui.

Les élèves semblent satisfaits de ces cours. Le professeur Abdullah Fawsy s’enthousiasme :

 

Page Facebook de Tahrir Academy (capture d’écran)

 

« Après avoir appliqué le modèle d’apprentissage mixte en utilisant les cours de Tahrir Academy, un de mes élèves m’a dit qu’il ne voulait pas prendre de pause. »

Omar, un élève, affirme dans les commentaires du groupe Facebook :

« J’ai enfin compris la physique, merci mille fois ! »

Bien que l’initiative soit louable, il ne faut pas oublier qu’en 2013 en Egypte, seulement la moitié de la population (49,6%) avait accès à Internet soit à peu près 41 millions d’habitants sur une population totale de 82 millions d’habitants. Parmi eux, seulement 3,26 millions avaient accès en 2013 à l’Internet haut débit. Ainsi seules les classes moyenne et aisée ont la possibilité d’accéder à Tahrir Academy.

Mais Hala Hamouda nuance ce constat plutôt pessimiste. Elle précise :

« Certains élèves ont toujours un accès limité à Internet. Mais tout ce qu’ils veulent est un accès juste une fois par semaine et il peut être fourni par les salles d’informatiques dans certaines écoles, les cybercafés et les ONG. [...] De plus, notre projet “Go teach” [ndlr : “Va enseigner‘] résout le problème. C’est un projet d’enseignement commun où des éducateurs volontaires appliquent le modèle d’enseignement mixte en utilisant les cours en ligne de Tahrir Academy [...] et en organisant des activités d’accompagnement en dehors d’Internet.’

Pour que l’ensemble des jeunes Egyptiens puisse faire l’apprentissage de l’esprit critique, il faudrait une réforme complète du système éducatif égyptien. Une perspective peu probable tant que l’ex-maréchal Al-Sissi sera au pouvoir.

 


Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

 

 

 

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26 novembre 2014 3 26 /11 /novembre /2014 15:28

 

Source : www.bastamag.net

 

 

 

Droits humains

Malgré les tortures et la répression, la France va-t-elle poursuivre ses ventes d’armes à l’Egypte ?

par Warda Mohamed 26 novembre 2014

 

 

 

 

 

François Hollande accueille aujourd’hui le président égyptien Al Sissi. Au programme des discussions : plusieurs centaines de millions d’euros de contrats d’armement. Les organisations de défense des droits humains Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent pourtant de nombreux cas de répressions, d’arrestations, de tortures et de massacres d’opposants en Égypte. Le code de conduite européen en matière de vente d’armes stipule également de refuser toute exportation d’armes s’il existe « un risque manifeste » que celles-ci « servent à la répres­sion interne ». Le gouvernement de Manuel Valls s’inscrira-t-il dans la droite ligne de la position « sécuritaire » adoptée par Michèle Alliot-Marie lors des printemps arabes ?

Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi est reçu ce 26 novembre, à l’Élysée, par François Hollande. Il rencontrera également Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian, ainsi qu’une délégation du Medef. Quatre ans après la révolte qui a fait tomber Hosni Moubarak, les relations se normalisent avec l’Égypte, même si les affaires, en particulier les ventes d’armes, n’ont jamais cessé. Qu’importe que le « processus de transition politique vers des institutions civiles respectueuses de l’État de droit, des droits de l’Homme et des libertés publiques », que l’État français appelle officiellement de ses vœux, soit au point mort. L’ancien ministre égyptien de la Défense, élu président en juin dernier lors d’un scrutin entaché de fraude, marqué par une abstention massive, et face à un seul candidat, semble être devenu un interlocuteur respectable. Navires de guerre, véhicules blindés, roquettes ou avions de chasse « made in France » peuvent de nouveau s’y exporter, même s’ils risquent de servir à réprimer les mouvements de contestation.

Quand il s’agit de ventes d’armes, tout va très vite. A peine un mois après la présidentielle, le groupe DCNS, détenu par l’État et Thales, et spécialisé dans l’armement naval, confirme un contrat portant sur quatre corvettes, pour un montant d’un milliard d’euros, destinées à la marine égyptienne (voir aussi l’article de La Tribune). D’autres ventes pourraient être finalisées cette semaine à l’occasion de la visite présidentielle, les militaires égyptiens étant notamment intéressés par le Rafale.

La relation militaire entre les deux pays est ancienne. L’Égypte dispose d’avions Mirage et Alpha Jet de Dassault Aviation, de Crotale (Thales) et voudrait moderniser ses appareils. Sagem (Safran) et Thales travailleraient sur ce projet avoisinant les deux milliard d’euros. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) est la tête d’un véritable empire dont ni les revenus – qui proviennent d’entreprises qu’elle détient dans des domaines très divers –, ni le budget ne sont connus. L’hégémonique institution dispose de fonds conséquents à investir. Al-Sissi est, dans cette perspective, un hôte de choix : il a dirigé les forces armées juste avant son élection. En 2011, il était le chef du renseignement militaire.

Un militaire président impliqué dans des massacres

Plusieurs entreprises françaises ont déjà tiré profit de l’instabilité du pays. En novembre 2012, Renault Trucks Défense (RTD) annonce qu’elle deviendrait « le premier partenaire français de l’armée d’ici quelques années ». RTD a livré à l’Égypte 47 véhicules blindés lourds et légers « Sherpa » et des camions conçus pour le maintien de l’ordre. Se pose alors la question de la responsabilité sociétale de l’entreprise vis-à-vis d’un pouvoir qui réprime durement les mouvements de contestation. À peu près tous les armements peuvent être détournés de leur usage militaire classique à des fins répressives contre les populations civiles. Dès 2011, blindés lourds et légers sont ainsi régulièrement déployés, dans la capitale et d’autres grandes villes, pour imposer la présence des forces de sécurité.

Le 9 octobre 2011, l’armée fonce sur la foule avec ces véhicules. Elle écrase des manifestants majoritairement coptes (chrétiens d’Égypte) qui revendiquent le respect de leurs droits. Le bilan « du massacre de Maspero » (lire ici) est d’environ 30 morts et 300 blessés. Le 14 août 2013, blindés, bulldozers et véhicules Sherpa vendus par Renault sont utilisés pour maîtriser les manifestants et évacuer les sit-in des sympathisants de Mohamed Morsi, le président déchu en 2013. Plus de 1 000 personnes sont tuées dans ce que l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch qualifie de « probables crimes contre l’humanité commandités par des personnes aux responsabilités, dont Al-Sissi » (Voir cet article d’Orient XXI). Contacté sur ce sujet, Renault Trucks Défense n’a pas donné suite. La France collabore également avec les services de surveillance, notamment via Thales, qui n’a pas répondu aux demandes d’interview.

L’Union européenne suspend les ventes d’armes, pas la France

Des armements lourds et des technologies fournis par la France sont donc employés pour réprimer des rassemblements pacifiques depuis le début de la révolution égyptienne. Pourtant, les lois en la matière sont draconiennes. La législation française interdit de vendre et d’exporter des armes sans autorisation spéciale. Chaque vente est une exception : une autorisation est délivrée par le ministère de la Défense (Jean-Yves Le Drian aujourd’hui) après enquête. La décision est ensuite prise par le Premier ministre (Manuel Valls), sur avis d’une commission dédiée pilotée par la Défense et les ministère des Affaires étrangères (Laurent Fabius), de la Défense et de l’Économie (Emmanuel Macron). Sollicités sur la question égyptienne, ils n’ont pas donné suite. Il fut un temps, pas si lointain, où les députés socialistes dénonçaient « le silence coupable » des autorités françaises face à la répression du printemps arabe en Tunisie...

Seul le rapport au Parlement donne quelques indications sur ces transactions opaques [1]. Mais « la transparence n’est pas de mise », pointe Aymeric Elluin d’Amnesty international. Dès 2011, Amnesty appelle à la suspension des transferts d’armes et déplore le manque d’intérêt des parlementaires. L’Assemblée nationale est alors majoritairement UMP. Cette année-là, la France exporte vers l’Égypte, en pleine révolution, des avions militaires, du matériel de fabrication d’armes mais aussi des bombes, roquettes et missiles, pour près de 70 millions d’euros. Le rapport sur les exportations d’armement de la France indique qu’elle n’a refusé aucune transaction au motif des violations des droits humains. Les prises de commandes et livraisons d’armes en destination de l’Égypte se sont même accrues.

De 2011 à 2013, ces commandes augmentent de 50%, passant de 43,1 à 64,4 millions d’euros. En août 2013, après les tueries de Rabaa et Al Nahda, alors que l’Union européenne suspend la fourniture d’équipements sécuritaires et d’armes au pouvoir intérimaire dirigé par le général Sissi, la France appuie les demandes de ses industriels et poursuit les transactions. « Elle soutient une suspension des transferts qu’elle n’applique pas au niveau national », déplore Aymeric Elluin. A l’Elysée, l’alternance n’a rien changé.

La France viole les traités qu’elle a signés

La France adhère pourtant à plusieurs traités, comme la position commune de l’Union européenne (qui a succédé au Code de conduite européen sur les exportations d’armements) et le Traité de contrôle des armes, entré en vigueur en décembre 2014. Ces traités imposent à leurs signataires « d’évaluer l’attitude du pays destinataire à l’égard des droits de l’homme » et de « refuser l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements mili­taires servent à la répres­sion interne ». Les États signataires doivent « faire preuve d’une prudence toute particulière en ce qui concerne la délivrance d’autorisations aux pays où de graves violations des droits de l’homme ont été consta­tées » et prêter attention à la situation économique du pays et à la cohérence entre ses besoins et ses commandes.

Si l’on se base sur les conclusions des ONG telles que Amnesty ou Human Rights Watch, ces conditions ne sont pas remplies par l’Égypte. Depuis le 3 juillet 2013, une répression sans précédent s’abat sur la principale force d’opposition, les Frères musulmans. Plus de 1300 personnes sont condamnées à mort lors de deux audiences (lire ici). La répression déborde largement l’opposition "islamiste" : activistes, étudiants, journalistes, médias ou manifestants de tous bords sont muselés par une loi qui régit drastiquement le droit à manifester. Tortures et violences sexuelles sont systématisées dans les commissariats, les prisons et les centres de détention secrets, raconte la journaliste Claire Talon en mai dernier.

41 000 opposants arrêtés en une année

D’après l’ONG égyptienne Wikithawra, entre juillet 2013 et mai 2014, plus de 41 163 personnes ont été arrêtées. Une répression justifiée par les autorités. Pour elles, ceux qui pointent et critiquent ces violations des droits élémentaires « ne comprennent pas la situation de guerre contre le terrorisme [le terme désignant aussi bien les Frères musulmans que tout opposant] et les aspirations actuelles du peuple égyptien », se défendent-elles devant l’Onu. François Hollande se ralliera-t-il à cet argument ?

D’un point de vue économique, le pays est dans une situation très préoccupante. Alors que le budget 2014-2015 indique deux priorités – réduire le déficit budgétaire tout en améliorant rapidement les conditions de vie des Égyptiens, dont près de la moitié vit sous le seuil de pauvreté –, celui de l’armée échappe au contrôle du Parlement. Les prérogatives des députés pourraient d’ailleurs être réduites au profit du président.

Interrogé après les mesures draconiennes imposées à la population, Abdel Fattah Al-Sissi n’a pas souhaité répondre sur le budget de la Défense et de l’armée. Il est plus loquace quand il s’agit d’envisager de coûteux achats d’armement : « La signature de nouveaux contrats dépend de ce que la France peut fournir à l’Égypte, de sa compréhension de la situation et des facilités qu’elle accordera », a-t-il déclaré le 20 novembre à France 24 (voir la vidéo). Et il semble que sur ce sujet, le gouvernement français soit compréhensif : « L’Égypte est désireuse de travailler avec la France et notre relation est de grande qualité », a expliqué en septembre le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian devant l’Assemblée nationale.

Warda Mohamed

Photo : CC Mosa’ab Elshamy (manifestation au Caire en mai 2012)

 

Notes

[1Voir le rapport.


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Source : www.bastamag.net

 

 

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26 novembre 2014 3 26 /11 /novembre /2014 15:18

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

En Egypte, le président al-Sissi revient aux pratiques de l'ère Moubarak

|  Par Assia Shihab

 

 

 


Prenant prétexte de la lutte contre les djihadistes du Sinaï, l'homme fort de l'Égypte, reçu par François Hollande à l'Élysée ce mercredi, mène la répression contre tous les opposants, et pas seulement les Frères musulmans. Pour ce faire, il a étendu l'autorité des tribunaux militaires.

De notre correspondante au Caire. Personne hors du Palais ne sait exactement combien de décrets ont été signés de la main présidentielle. Une centaine, peut-être, en six mois. Depuis son élection – et en l’absence de parlement –, Abdel Fattah al-Sissi joue au législateur en chef  avec une extrême diligence, au nom de la lutte contre le terrorisme. Son régime est aujourd’hui doté d’un arsenal juridique ultra-répressif, qui lui a permis de débarrasser la scène politique de tous ses opposants. C'est cet homme-là que François Hollande reçoit à l'Élysée ce mercredi 26 novembre 2014.

Après le coup d’État qui a réprimé dans le sang les sit-in des Frères musulmans en 2013, la confrérie a été classée terroriste et ses principaux chefs sont aujourd’hui en prison. Mais c’est tout le mouvement révolutionnaire qui est aujourd’hui laminé : ses principaux acteurs (activistes démocrates et gauchistes) sont derrière les barreaux. Le gros de la population n’en a cure, parce que l’armée a su mettre fin au « chaos » de l’après-Moubarak, et parce que la menace terroriste est réelle. Les djihadistes égyptiens, basés dans la péninsule du Sinaï et d’abord engagés contre l’armée sur place, ont désormais déplacé leurs attaques dans la vallée du Nil.

L’Égypte de Sissi ressemble ainsi de plus en plus à celle de Moubarak. L’état d’urgence qui a perduré tout au long du règne de l’ancien raïs réapparaît peu à peu sous une forme déguisée. L’un des derniers décrets présidentiels a étendu le mandat des tribunaux militaires. Depuis fin octobre, l’armée est chargée de sécuriser « tout bâtiment public vital » en coordination avec la police. Corollaire de cette disposition, toute atteinte à ces bâtiments relève désormais de la juridiction militaire.

L’auteur d’un acte de vandalisme contre une université ou du blocage d’une route sera déféré devant un tribunal militaire au même titre qu’un poseur de bombe sur un chemin de fer. « C’est un message aux étudiants qui continuent de manifester. Sissi veut en finir avec le chaos des universités qui sont le dernier bastion de contestation dans le pays », estime Negad el-Borai, avocat et défenseur des droits de l’homme. Une plateforme d’ONG égyptiennes dénonce « une loi martiale qui met en place un système de justice parallèle dans lequel des milliers de civils pourraient se retrouver devant des tribunaux militaires sans garantie de procès équitable ».

La loi sur les tribunaux militaires a été adoptée quelques jours après la mort de 30 soldats, tués dans une opération-suicide contre un check-point à Karm Al-Qawadis dans le nord du Sinaï où les djihadistes mènent une insurrection armée depuis plusieurs années. Cette attaque, la plus meurtrière de ces derniers mois, a choqué l’opinion. L’insurrection armée des islamistes dans la péninsule dure depuis des années mais elle s’est fortement intensifiée après le coup d’État, soutenu par la population, contre les Frères musulmans.

Dans la foulée, la rhétorique éradicatrice du gouvernement, qui assimile les  Frères musulmans aux djihadistes, s’est encore renforcée. Apparu à la télévision, le président-maréchal a promis une réponse implacable « à la menace existentielle que représentent les djihadistes ». La campagne militaire s’est intensifiée dans le nord du Sinaï, avec une multiplication des raids aériens. La spirale de violence paraît d’autant plus inexorable que le principal groupe djihadiste, Ansar Beit Al-Maqdis, vient de prêter allégeance à l’État islamique, implanté en Irak et en Syrie.

 

La police égyptienne devant des graffitis anti-militaristes, le 19 novembre 2014. 
La police égyptienne devant des graffitis anti-militaristes, le 19 novembre 2014. © Amr Dalsh/Reuters

Dans les faits, cela change – pour l’instant – peu de choses, mais le symbole est important, donnant l’image que l’Occident et l’Égypte font désormais face au même ennemi et soulignant que la lutte contre l’expansion de l’État islamique dans la région est devenue une priorité stratégique commune. Du coup, les critiques déjà peu audibles de la manière forte employée par le maréchal se font de plus en plus rares. Son gouvernement a ainsi pu procéder, sans provoquer de grande indignation, à la destruction de plus de 800 habitations à la frontière avec Gaza pour établir une zone tampon, après en avoir expulsé les familles.

Ces mesures d’exception, au même titre que l’extension de la juridiction des tribunaux militaires, sont largement approuvées par une opinion publique chauffée à blanc par des médias sous contrôle, qui donnent dans la surenchère vengeresse. Commentant l’attaque de Karm Al-Qawadis, les analystes ont demandé, avant même qu’elles ne soient annoncées, des mesures de sécurité plus strictes dans le pays !

La prime en la matière est allée à Ahmed Moussa, présentateur célèbre pour sa verve anti-islamiste (il s’était réjoui en direct de la condamnation à mort de 529 membres des Frères musulmans en mars dernier) : « Je ne veux plus un seul chien manifestant dans les campus ou ailleurs. Que ceux qui parlent de droits de l’homme soient brûlés ! Arrêtez de leur caresser le dos, nous demandons des procès militaires pour les leaders terroristes. Je ne veux pas de procès justes, je veux du sang et des corps en représailles contre ces terroristes. »

Bien que caricaturaux, ses propos reflètent l’état d’esprit d’une partie de l’opinion, qui ne distingue pas entre islamistes et étudiants opposés au nouvel ordre militaire. Qu’importe si parmi ces jeunes figurent aussi des opposants aux Frères musulmans. « Celui qui n’est pas avec nous est contre nous » est devenu le leitmotiv d’une grande partie des Égyptiens, ceux qui vouent aujourd’hui les révolutionnaires aux gémonies et les accusent d’avoir provoqué l’instabilité, avec l’aide de puissances étrangères comploteuses.

«Les gens ne font pas qu’approuver la répression contre les opposants, ils la demandent»

C’est dans ce contexte que le décret sur les tribunaux militaires a été appliqué pour la première fois, mi-novembre. Cinq étudiants ont été transférés devant un tribunal militaire, une cour criminelle du Caire ayant estimé qu’elle n’était pas compétente pour juger des chefs d’inculpation d’appartenance à un « groupe terroriste » et possession de cocktails Molotov. Si la loi devait être utilisée de façon rétroactive, ce sont des centaines d’étudiants actuellement en prison qui pourraient se retrouver devant la justice militaire.

Mais pour les activistes qui luttent depuis des années contre les procès militaires pour les civils, le nouveau décret n’est pas plus scandaleux que les dispositions existant dans la constitution actuelle, approuvée très largement en janvier. L’article 204 autorise ainsi le jugement de civils par des militaires en cas d’attaque directe contre un membre de l’armée, un équipement ou une institution militaire.

« Les autorités n’ont pas attendu cette loi pour présenter des civils devant des tribunaux militaires alors qu’ils n’ont rien à y faire », rappelle Mohamad Fouda du groupe No military trials for civilians. « Mais on sait qu’il y a eu une recrudescence énorme de ces pratiques, notamment dans le Sinai qui est totalement fermé aux observateurs indésirables. » Le tribunal militaire d’Ismaïlia, dont relève une partie du Sinaï, jugerait à lui seul entre 100 et 200 affaires chaque semaine selon des avocats.

La plupart des prévenus ont été torturés pendant leur détention, notamment pour les obliger à signer leurs confessions, rapportent leurs avocats. Les mauvais traitements sont en effet quasi généralisés dans les lieux de détention, y compris ceux de la police. Dans le cas des tribunaux militaires, les procès ont souvent lieu dans des établissements de haute sécurité, inaccessibles aux avocats de la défense et des familles, en l’absence totale de transparence.

 

Le président égyptien al-Sissi devant l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2014. 
Le président égyptien al-Sissi devant l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2014. © UN Photo/Cia Pak

Le récent procès d’une cellule d’Ansar Beit Al-Maqdis a révélé les failles de cette justice d’exception, comme le rapporte l’ONG Human Rights Watch. Le 21 octobre, un tribunal militaire a condamné à mort sept hommes, et deux autres à la perpétuité, pour une attaque qui a coûté la vie à neuf soldats en mars 2014. Âgés de moins de 30 ans, certains ont reconnu être allés combattre en Syrie, tout en réfutant leur appartenance à Ansar Beit Al-Maqdis. La police affirme avoir arrêté les jeunes djihadistes le 19 mars dans un entrepôt au nord du Caire. Mais leur avocat dit avoir été contacté par les familles des accusés en janvier, soit deux mois avant la date de l’attaque pour laquelle ils ont été condamnés. En attendant leur procès, ils ont été gardés au secret dans la prison d’El-Azouli, dans une base militaire d’Ismaïlia, où ils ont été torturés. Des centaines de civils auraient été emprisonnés dans cette prison secrète en toute illégalité, selon les témoignages recueillis par l’organisation.

Mohamad Fouda, du groupe contre les tribunaux militaires, se désole : « Au début de la révolution, nous avons mobilisé beaucoup de monde autour de notre cause, mais dans le climat nationaliste actuel, les procès militaires ne choquent plus. Dans l’esprit de beaucoup d’Égyptiens le président combat le terrorisme, et ses détracteurs veulent la destruction du pays, point. Aujourd’hui, on nous accuse d’essayer de déstabiliser l’armée, d’être des traîtres financés par des pays étrangers. Les gens ne font pas qu’approuver la répression contre les opposants, ils la demandent. »

La rue ne s’est donc pas émue de la loi interdisant les manifestations (votée par le gouvernement transitoire), ni de celle criminalisant les financements étrangers, et sans doute pas de celle en préparation sur les ONG. Les décrets présidentiels, malgré leur inconstitutionnalité avérée pour certains, donnent un vernis de légitimité à cette répression. Ils seront en outre « révisés dès que le prochain parlement sera élu », assure Negad al-Borai, l’un des défenseurs des droits de l’homme encore confiant dans le système.

Or les élections législatives, qui auraient dû initialement se tenir avant l’élection présidentielle de mai 2014, ne cessent d’être repoussées. Ce qui semble arranger autant les partis d’opposition, qui souffrent de désorganisation et d’un déficit de notoriété, que l’homme fort du pays. « Peut-être qu’il aime son pouvoir, et qu’il aime user de son autorité sans contrôle du parlement », concède Negad al-Borai. Un diplomate occidental précise : « Avec Sissi, on a une vision du pouvoir qui s’est débarrassée du  politique. Il décide de tout avec des avis d’experts, donc scientifiques, donc irréfutables. Toute discussion est pure perte de temps pour lui et ne peut mener qu’au chaos, à l’image des trois dernières années. »

Si la révolution du 25 janvier 2011 sert toujours de repoussoir aux uns, elle a insufflé une conscience démocratique incompressible à beaucoup d’autres, et aux plus jeunes notamment. Avec eux la logique répressive poussée à l’extrême risque de trouver ses limites. De plus, cette logique continue à être battue en brèche par les islamistes, au-delà des Frères musulmans. Un groupe réuni sous le nom de « Front salafiste » a appelé au « soulèvement de la jeunesse islamiste » en faveur de la charia le 28 novembre. Ce groupe extrémiste étant relativement marginal, et les islamistes égyptiens étant divisés, il est difficile de prédire l’ampleur de la mobilisation. Mais la mise en alerte des autorités, qui ont promis d’intervenir « avec des balles réelles si nécessaire », traduit une fébrilité qui n’est pas celle d’un régime omnipotent.

 

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

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30 septembre 2014 2 30 /09 /septembre /2014 18:15

 

Source : www.mediapart.fr

 

En Égypte, la police prend sa revanche

|  Par La rédaction de Mediapart

 

 

 

 

Durant la présidence Moubarak, les policiers usaient de leur pouvoir pour humilier, susciter la peur et affirmer la puissance de l’Etat. Pendant la révolution, les manifestants ont pu exprimer leur haine de la police, qui perdra de ses prérogatives. Depuis le retour officiel de l’armée à la tête de l’Etat, la puissante institution traque les activistes et militants, et veut se venger. Violences, tortures et arrestations arbitraires : jusqu’où iront les policiers ?

 « Parfois, la brutalité porte un nom, en Égypte. Il ne s’agit pas seulement de gamins efflanqués, rapidement vêtus d’un uniforme pour rosser des manifestants, ni des agents des services de renseignements, les yeux et les oreilles du régime égyptien, omniprésents. Au Caire, la taille de la ville rend plus difficile l’identification des responsables. "Il y a un très grand nombre d’officiers dans toutes sortes de branches. C’est difficile de savoir vers qui se tourner. Généralement, on dirige notre colère contre le ministre de l’intérieur, Mohamed Ibrahim", explique un activiste égyptien des droits de l’homme, qui souhaite rester anonyme. "Mais ailleurs, il y a certaines figures de premier plan. Comme Nasser el-Abd, à Alexandrie."

Nasser el-Abd y a été nommé chef des enquêtes en 2009. "Il pouvait ordonner des investigations, faire travailler différents services", poursuit l’activiste. "Il connaît tous les militants. Et tout le monde le connaît", dit Suzanne Nada, responsable du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux à Alexandrie. Un centre qu’il a promis de faire fermer, selon elle, un certain 22 mai 2014. »

La suite à lire sur Orient XXI

 

 


Source : www.mediapart.fr

 

 


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11 mai 2014 7 11 /05 /mai /2014 17:34

 

Source : www.mediapart.fr

 

Egypte: l'armée systématise les violences sexuelles pour réprimer la jeunesse

|  Par Claire Talon

 

 


Insultes, viols, tortures... L'armée et les forces de sécurité égyptiennes ont recours à une violence décuplée à quelques jours de l'élection présidentielle. Premières victimes : les jeunes, arrêtés en masse et au hasard, et tous ceux qui peuvent sembler proches de l'opposition. Des témoignages donnent l'ampleur du phénomène.

Le Caire, correspondance. « Dis : je suis une femme », « Dis : je suis une pute », « Dis : je suis un pédé », « Dis que ta mère est une pute », « Dis que ton père est une pute » : voilà en substance le grand oral auquel la police et l’armée égyptiennes soumettent la jeunesse à l’heure des examens de fin d’année.

Ce programme d’humiliation a été mitonné par le ministère de l’intérieur. Il vient appuyer des travaux pratiques destinés à « casser » une jeunesse frondeuse, soupçonnée de manquer d’empathie pour le régime en place. Viols, doigts dans l’anus, électrocution des parties génitales, attouchements, « tests de virginité », tests de grossesse, séances de déshabillages collectifs, menaces de viol sur les proches et la famille : par-delà les opposants au régime désigné par le général al-Sissi, les activistes ou les journalistes, ils sont des milliers de jeunes à être livrés en pâture à ce qui apparaît de plus en plus comme une gigantesque entreprise d’humiliation sexuelle collective.

Pris à partie au hasard, aux abords des manifestations, par la police ou par des hommes de main en civil, de plus en plus de jeunes, d’adolescents, voire d’enfants, sont précipités sans ménagement dans un labyrinthe de commissariats, de camps militaires, de prisons et de centres de détention secrets transformés en salles de torture. Une réalité d’autant plus répandue que, selon Reda Marhi, juriste à l’Initiative égyptienne pour les droits des personnes (EIPR), « tous les commissariats de l’Égypte se sont aujourd’hui transformés en prisons, sans compter les lieux de détention secrets. Cela fait plus d’un millier de prisons à l’échelle du pays : beaucoup plus que les 42 reconnues par les autorités ».

Une vidéo, qui circule sur les réseaux sociaux, dit montrer l’arrestation par l’armée de « manifestants contre le coup militaire », dans le quartier de Hanoville à Agami, à l’ouest d’Alexandrie :

 

 

Abasourdis, relâchés après des semaines, parfois des mois, de va-et-vient entre les mains des militaires, des policiers, et de juges iniques ou débordés, ils témoignent maladroitement, à grand renfort de périphrases, les mâchoires serrées, des manies scabreuses et sadiques des services de sécurité… Au fil des témoignages, un même scénario se répète, qui indique que la violence sexuelle est pratiquée à tous les échelons de la machine policière et judiciaire : des commissariats aux antichambres des salles d’audience, elles aussi transformées en salles de torture.

Ce chemin de croix commence dans les sous-sols des commissariats de quartier, aux alentours desquels, selon les témoignages de plusieurs parents, des vendeurs ambulants, soudoyés par les policiers, sont sommés de faire du chiffre en ramenant régulièrement de la chair fraîche aux gardiens de l’ordre.

À l’ombre des immeubles cossus de Garden City, le commissariat Qasr Al Nil, à deux pas de la place Tahrir, au Caire, est, comme ceux de Mosky et de Azbakya, le théâtre d’une véritable débauche. Hany Raif, étudiant en première année d’architecture, en a fait l’expérience, le 19 novembre dernier. Blessé dans l’attaque d’une manifestation antimilitaire, il se rend à l’hôpital pour soigner sa main atteinte par une balle réelle. Dénoncé par le personnel médical, il est arrêté par la police accourue sur place, qui l’emmène à Qasr Al Nil.

« Ils m’ont jeté dans une cellule au sous-sol. Dedans, il y avait deux hommes en érection qui se dandinaient en slip, et qui se sont jetés sur moi, dit Hany, baissant les yeux, peu enclin à s’appesantir sur les détails. J’ai hurlé tellement fort qu’ils ont fini par venir me sortir de là. » Près d’une semaine plus tard, quand il recouvre la liberté, il apprend qu’au même moment, son amie Rawda, 16 ans, partageait quant à elle sa cellule avec un groupe de prostituées hilares qui l’ont humiliée pendant des heures.

« Deux jours après mon arrestation, le 21 novembre, deux écoliers de quatorze ans sont arrivés d’une école toute proche, la Ibrahimya school, ajoute Hany. Ils avaient été dénoncés par leur professeur qui avait vu des tracts "Ni Morsi ni Sissi" dans leur cartable. Ils les ont déshabillés et les ont battus à même le sol pendant une heure. Ils baignaient dans le sang. Quand leurs parents sont arrivés pour les chercher, leurs mères se sont évanouies. »

Une fois débarqués au commissariat, les détenus sont systématiquement déshabillés, aspergés d’eau froide, frappés, torturés, harcelés sexuellement, photographiés et filmés avec des armes disposées devant eux. Pour les filles, un traitement spécial est prévu : les plus chanceuses se voient imposer des « tests de grossesse », les plus récalcitrantes des « tests de virginité », pratiqués avec des spéculums ou à main nue, menottées sous l’œil des policiers. « Examen vaginal » censé protéger les militaires de toute accusation de viol ultérieure, et protéger les victimes des tentatives d’agression, cette pratique constitue un trauma indescriptible pour des jeunes femmes, souvent très jeunes et qui, pour beaucoup, ne sont jamais allées chez le gynécologue.

« Ils ont mis leurs mains partout »

Arrivés au seuil de la prison, après des heures de tabassage dans les fourgons de la Sécurité centrale (Al Amn Al Markazi), le cauchemar continue. Dénudés, affublés de prénoms féminins, garçons et filles font à nouveau l’épreuve de la veulerie scabreuse de fonctionnaires de police qui rivalisent de perversité.

« Les soldats m’ont tirée par les cheveux jusque dans leur camion et là, le harcèlement a commencé, raconte Ayat Hamada, étudiante à Al Azhar, arrêtée le 28 décembre sur le campus de son université au cours d’une manifestation « contre le coup » d'État qui a renversé Morsi. Ils ont mis leurs mains partout. Le militaire qui avait glissé des cartouches dans mon sac s’est approché de moi, il m’a dit : “Je vais faire en sorte que tu ne sois plus une fille et je vais te faire toutes les choses que tu n’as pas envie que je te fasse.” Et là, ils nous ont harcelées sexuellement, verbalement et physiquement, moi et les 14 autres filles, en nous frappant tout le long du chemin. »

« Quand on est arrivé au camp de la Sécurité centrale, ils ont aligné toutes les filles contre un mur et ont placé les garçons devant nous. Ils les ont déshabillés sous nos yeux, en ne leur laissant que leurs sous-vêtements. Toute fille qui essayait d’avoir la moindre réaction, ils l’insultaient, elle et sa mère, d’une manière que personne ne pouvait supporter, en la menaçant d’un test de virginité, d’un viol, etc. Ils se sont mis à frapper les garçons avec des ceintures et des bâtons. Ils leur ont demandé de chanter “Bénies soient tes mains, armée de mon pays”. Et puis ils leur ont dit : “Allez ! Dites que vous êtes des femmes, vous êtes des femmes ou des hommes ?” Et ils les ont insultés jusqu‘à ce que l’un d’entre eux dise : “Ok, on est des femmes.” Ils leur ont aussi demandé de dire “nous sommes des chiens et des esclaves et vous êtes nos maîtres”.

« Ensuite, on nous a jetés dans une cellule dans laquelle ils ont ouvert l’eau. Une fois à la prison de Qanater, on a été déshabillées par des gardiennes à notre tour, soumises à un test de grossesse et menacées de tests de virginité. Et ainsi de suite », achève la jeune fille qui a, en tout, passé 54 jours en prison.

 

Manifestation contre les violences sexuelles à l'encontre des femmes, au Caire, le 12 février.Manifestation contre les violences sexuelles à l'encontre des femmes, au Caire, le 12 février. © (dr)

Une fois arrivé au tribunal, ce n’est pas fini : lorsque l’on n’est pas bastonné par le procureur lui-même ou son substitut, on est soumis à des fouilles au corps qui se transforment en harcèlement sexuel. Mercredi 9 avril 2014, en arrivant à une audience qui se tient au sein même de la prison de Tora, Hind Nafie est fouillée au département de sécurité :

« L’officier de police responsable de la sécurité a demandé à une gardienne de me fouiller au corps dans une pièce fermée ; elle s’est jetée sur moi et a attrapé toutes les parties sensibles de mon corps d’une manière déshonorante : une fois, deux fois, trois fois. Je me suis débattue, j’ai crié : “Tu me fouilles ou tu me harcèles ??!” Et elle m’a répondu : “Laisse-moi faire, c’est les ordres.” Cela a duré dix minutes ; dix minutes de cris et de combat. Quand il a fallu entrer dans le couloir vers la salle du tribunal, le même officier a dit : “Fouillez-la à nouveau”, et ça a recommencé. J’ai refusé de rentrer dans la pièce. Il a dit : “Si tu veux aller à l’audience, tu repasses à la fouille”, et comme je refusais, il a dit à la gardienne : “Dans ce cas, fais-lui ça ici, attrape-la par toutes les parties de son corps ici, devant tout le monde.”  L’un de mes collègues, Ahmed Hassan, est intervenu et il a dit à l’officier : “Tu aimerais qu’on fasse ça à ta fille ?” Il s’est immédiatement fait frapper par un autre policier. Ça a provoqué une bataille entre les policiers et les autres prisonniers. »

« En Égypte, la violence sexuelle est ce qu’il y a de pire pour les gens, explique Farah Shash, chercheur au centre Nadeem, l’une des plus importantes ONG de lutte contre la torture. Cela casse l’honneur de toute la famille. Les gens sont très pauvres, ils n’ont rien, pas d’argent : ils n’ont que leur honneur. On peut faire avouer n’importe quoi à quelqu’un dont on menace de violer la femme, la sœur, ou que l’on humilie sexuellement. C’est cela leur but : te casser au point où tu ne puisses pas te relever, c’est un traumatisme inimaginable. Nous savons que des filles ont affirmé avoir été violées (notamment celles arrêtées dans les rafles d’Al-Azhar et d’Alexandrie), mais on n’a pu obtenir aucune preuve : les familles refusent de parler. »

Surmontant la honte qui submerge les victimes, deux jeunes gens de 15 et 19 ans ont témoigné des viols dont ils avaient été victimes. Dans une conférence publique organisée par des ONG égyptiennes des droits de l’Homme, Fadi Samir, 15 ans, un Copte arrêté le 8 janvier, a décrit son arrivée dans les locaux de la Sécurité centrale en ces termes : « Ils nous ont fait entrer tous ensemble, ils nous ont agressé sexuellement, en nous faisant tomber par terre et en nous touchant à… des endroits que je ne peux pas nommer ici », a déclaré le jeune homme, à visage découvert, au cours d’une conférence de presse, avant d’avouer plus tard au Guardian qu’on lui avait introduit un doigt dans l’anus à deux reprises et fait subir des attouchements aux toilettes. « L’officier n’aimait pas mes réponses : il a demandé à un officier plus jeune de me mettre son majeur dans l’anus. Ce qu’il a fait à deux reprises. » Après 42 jours de détention et de torture, Fadi, accusé à tort d’appartenir aux Frères musulmans, est relâché.

Un autre étudiant, Omar Shouykh, affirme dans une lettre révélée par le Guardian, qu’il a réussi à faire passer hors de prison, avoir été violé le 24 mars, de la même manière et à deux reprises par des officiers en civil, dans un commissariat de l’est du Caire.

« C’est une répression sexuelle qui touche tout le monde : islamistes et laïcs, hommes et femmes, et même enfants et adolescents, affirme Ahmed Mefreh de l’ONG suisse Karama. Mais il est très difficile que les victimes acceptent de témoigner nommément, les familles refusent de donner les noms. Nous avons trois cas de viols de femmes documentés et des indications de dizaines d’autres, deux viols d'hommes reconnus nommément, mais on a des dizaines de cas d’agressions sexuelles par semaine, de viols d'hommes et femmes pendant les interrogatoires dans les prisons secrètes dans le désert, parfois avec des bâtons en bois. »

« La tête collée dans les ordures sous les insultes »

Ahmed Mefreh cite le cas d’une détenue, arrêtée dans une manifestation hostile à l’armée, à Abbasseya au Caire, violée pendant son interrogatoire alors qu'elle avait les yeux bandés : « Elle affirme que 30 femmes détenues avec elle ont été soumises au même traitement. »

D’autres détenus décrivent différentes formes de torture, notamment l’électrocution au moyen d’une barre de fer sur laquelle on fait asseoir une brochette de prisonniers nus que l'on asperge d’eau. Mais tous dénoncent surtout une entreprise beaucoup plus large d’humiliation, fondée sur l’insulte obscène et qui consiste à faire ramasser les ordures aux détenus, à les faire dormir nus, à inonder les cellules avec des eaux d’égout, etc. Pour ces jeunes, dont le seul tort est d’avoir été là au mauvais moment ou d'avoir manifesté, d'avoir filmé, d'exercer leur métier de journaliste, ou seulement d’appartenir à la famille d’un Frère musulman, la pilule passe d’autant plus mal que, malgré l’incohérence des charges qui pèsent contre eux, ils ne sont pour beaucoup relâchés – pour ceux dont on ne perd pas la trace – qu’après des semaines, voire des mois de détention.

« Le sentiment que tu as quand tu es comme ça, allongé par terre, nu, la tête collée au sol dans les ordures sous une pluie d’insultes, tu as juste envie de te mettre le feu à toi-même », décrit Mohammed Ihab, élève au collège, arrêté le13 mars à Alexandrie.

 

Le général Abdel Fattah al-Sissi, nouvel homme fort de l'Égypte. 
Le général Abdel Fattah al-Sissi, nouvel homme fort de l'Égypte. © (Reuters)

Désorientés, leurs proches sont intarissables sur l’absurdité des chefs d’accusation. Ils ont réuni les preuves qui attestent que leur parent n’était pas là où on l’accuse d’avoir mené un acte « terroriste ». « On a le certificat de l’employeur qui prouve qu’il était au bureau à l’heure de la manifestation », hurle la sœur d’un détenu, venue raconter le calvaire de son frère au siège de la fondation Hisham Moubarak (une organisation de défense des droits de l’Homme), mercredi 7 mai. « Ils accusent mon fils d’avoir stocké des tanks et des avions sur notre terrasse, ricane la mère de Abdel Rahmane Sayyed Rizq. Des tanks et des avions sur la terrasse ! Vous imaginez ça ? Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce pays : comment se peut-il que des jeunes de 16, 17, 18 ans disparaissent tous de la même manière, en rentrant de l’école ou en allant chercher du pain ? » 

Le phénomène jette une lumière complexe sur le fléau du harcèlement sexuel qui plombe la vie des Égyptiens et des Égyptiennes. Il suggère que la violence sexuelle en Égypte participe d’un système général de domination, rendu possible et pratiqué au premier chef par le pouvoir et les services de sécurité et qui atteint aujourd’hui un niveau sans égal.

« Nous sommes aujourd’hui convaincus que les viols collectifs place Tahrir ont été organisés par les forces de sécurité, affirme Farah Shash, du centre Nadeem contre la torture. Les agresseurs agissent selon une méthode identique pour chaque agression, en cercles concentriques : c’est d’ailleurs très visible sur les vidéos. Ils ont une méthode très précise : des dizaines d’hommes se focalisent sur une seule fille, il peut y en avoir dix autour dans la foule mais elles ne sont pas embêtées alors qu’elles sont à côté. La femme agressée n’est jamais volée : son sac à dos et ses affaires sont intacts. L’utilisation de la violence sexuelle est une stratégie qui remonte à la montée de la contestation contre Moubarak, en 2005. »

Abdel Fattah al-Sissi, premier défenseur des « tests de virginité » et dont le programme politique se résume pour l’instant à des protestations de virilité, incarne à lui seul, de ses meetings à ses affiches électorales, cette relation de plus en plus scabreuse tissée par leurs dirigeants avec les Égyptiens.

« Arrêtez, vous allez nous faire des problèmes avec les hommes », a susurré le général, plus sirupeux que jamais, à une foule de femmes en transe, venues l’acclamer aux cris de « Toi le Père, toi le Frère, Sissi, nous t’aimons », lundi 5 mai, dans une conférence retransmise en direct.

Dans sa première interview télévisée, à l’occasion du lancement de sa campagne électorale pour l'élection présidentielle qui se tient les 26 et 27 mai, il a par ailleurs promis de « rétablir la moralité en Égypte ». De là à faire passer ses opposants pour des déviants sexuels et des sous-hommes… Il n’y a qu’un pas, que les militaires, la police et des médias aux ordres sont prêts à franchir en toute bonne conscience. Le lancement de la campagne présidentielle coïncide d’ailleurs avec une série de raids et d’arrestations dans les milieux homosexuels, menés à grand renfort de fuites vidéo.

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

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29 novembre 2013 5 29 /11 /novembre /2013 16:37

 

Source : mediapart.fr

En Egypte, la police réprime violemment une manifestation pacifique

|  Par La rédaction de Mediapart

 

 

Après la promulgation, par le gouvernement intérimaire d'Adly Mansour, d'une loi limitant très fortement le droit aux réunions publiques, la police égyptienne a violemment réprimé une manifestation pacifique organisée contre les procès militaires.

Deux jours après la promulgation d'une loi qui restreint les libertés publiques, la police égyptienne a violemment dispersé, mardi 26 novembre, un groupe de 200 manifestants réunis pacifiquement devant le Conseil de la Choura, enceinte dans laquelle un comité élabore un projet de nouvelle Constitution pour l'Egypte.

Un groupe d'environ 200 militants s'étaient rassemblés devant le Conseil de la Choura, pour protester contre les lois liberticides du gouvernement intérimaire d'Adly Mansour et les procès militaires, quand, après quelques sommations, la police a tiré aux canons à eau et chargé la foule pour disperser la réunion publique interdite par le pouvoir.

« La manifestation de mardi contre les procès militaires était l'occasion de voir comment les autorités égyptiennes allait utiliser la nouvelle loi sur les réunions publiques », a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de Human Rights Watch au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. « Ce que nous avons vu confirme que la nouvelle loi donne carte blanche à la police pour réprimer toute forme de manifestation. »

Dimanche 24 novembre, le président égyptien, Adly Mansour, a promulgué une nouvelle loi qui restreint considérablement les droits d'expression et de manifestation des citoyens, en totale violation des normes internationales, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le projet de loi permet au pouvoir d'interdire toutes les manifestations à proximité des bâtiments officiels. Il donne également à la police une immunité élargie et l'autorise à disperser toutes les manifestations pacifiques dès le premier jet de pierres. Il instaure également l'obligation, pour les organisateurs de manifestations ou réunions publiques, de prévenir la police avant chaque événement réunissant plus de dix personnes, dans un lieu public ou privé.

 

 

 

 

 

 

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24 novembre 2013 7 24 /11 /novembre /2013 21:01

 

Souce : lemonde.fr

 

L’Égypte adopte une réforme controversée du droit de manifester

Le Monde.fr avec AFP | 24.11.2013 à 20h51 • Mis à jour le 24.11.2013 à 21h32

 
 

 

Un militaire devant l'université du Caire, le 24 novembre.

 

Le président égyptien par intérim a promulgué dimanche 24 novembre une loi très contestée, permettant aux autorités d'interdire des réunions ou des manifestations susceptibles de menacer la sécurité publique.

Le texte, qui provoque depuis des semaines l'ire des défenseurs des droits de l'homme, prévoit des peines d'un à cinq ans de prison ferme pour des délits allant du port de la cagoule à celui d'armes lors de défilés ou de rassemblements, a annoncé le porte-parole de la présidence. La loi oblige par ailleurs les organisateurs à informer les autorités de leur manifestation au moins trois jours avant sa tenue. Ces derniers doivent également fournir leurs coordonnées, le lieu et le trajet du cortège, leurs revendications et les slogans scandés. Si elle représente une "menace pour la sécurité", le ministre de l'intérieur peut décider d'interdire toute manifestation.

 

 UNE "APPROCHE OPPRESSIVE" DÉNONCÉE

Alors que le pays est en proie à des violences régulières depuis la destitution contestée par les islamistes du président Mohamed Morsi, le 3 juillet, la réforme prévoit, en cas de heurts, une "utilisation graduée de la force", allant d' "avertissements verbaux au tir de chevrotines, en passant par les matraques et les gaz lacrymogènes".

Lire aussi : Morsi va poursuivre en justice les "auteurs du coup d'Etat"

Une vingtaine d'organisations de défense des droits de l'homme ont dénoncé "l'approche oppressive" du gouvernement, ainsi qu'une réforme qui "criminalise les manifestations et les réunions publiques". Plusieurs ONG, de même que l'ONU, avaient également réclamé l'abandon du texte, accusant les autorités égyptiennes de vouloir revenir sur les acquis de la révolution populaire de 2011.

Cette réforme intervient alors que le nouveau pouvoir a lancé une vague de répression visant la confrérie des Frères musulmans. Plus d'un millier de manifestants pro-Morsi ont été tués depuis la mi-août, et plus de 2 000 Frères ont été arrêtés. Dimanche, les partisans de Mohamed Morsi ont pourtant défilé dans différentes villes du pays, appelant quasi-quotidiennement à la mobilisation.

 

Lire aussi notre analyse (édition abonnés) : L'Egypte dans l'engrenage de la répression et de la radicalisation

 

 

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 16:09

 

Médiapart.fr

 

En Egypte, l'armée tisse sa toile à l'abri des regards

|  Par Pierre Puchot

 

 

Coup d’État, refonte de l’exécutif, répression sanglante contre les Frères musulmans et possible interdiction de l'association qui sert de vitrine à la confrérie, censure médiatique… L’ancien régime est-il déjà de retour en Égypte ? Analyse et détail du processus politique en cours au Caire.

En catimini, pendant que la communauté internationale a le regard rivé sur la Syrie, le pouvoir égyptien tente-t-il d’éradiquer le plus ancien et plus important mouvement d’obédience islamique de l’histoire, fondé en 1928, qui avait jusque-là survécu à tous les méandres de la construction de l’Égypte indépendante ? Au Caire, le nouvel exécutif aurait décidé de dissoudre l’association des Frères musulmans, rapporte vendredi 6 septembre le journal officiel égyptien Al-Akhbar. Lundi, la justice égyptienne avait déjà recommandé sa dissolution.

Pourquoi la justice égyptienne s’attaquerait-elle à l’organisation non gouvernementale liée aux « Frères » ? « Les autorités accusent l'association des Frères musulmans de commettre des actions violentes, d'utiliser son siège social pour faire de la politique et d'y stocker des armes pouvant servir à tirer sur les manifestants », affirme Hany Mahana, porte-parole du ministre de la solidarité sociale, cité par Al-Akhbar. « Nous avons donné l'opportunité aux leaders des Frères musulmans de s'expliquer sur ces faits, mais ils ne sont pas venus », ajoute-t-il.  

 

La police égyptienne se déploie sur le site de l'attentat contre le ministre de l'intérieur, au Caire, le 5 septembre. 
La police égyptienne se déploie sur le site de l'attentat contre le ministre de l'intérieur, au Caire, le 5 septembre.© Reuters

Depuis sa dissolution et son passage à la clandestinité en 1954, la confrérie n’a jamais été autorisée, même sous la présidence de Mohamed Morsi, destitué par le coup d’État de l’armée égyptienne le 30 juin dernier. L’association ciblée aujourd’hui par l’État égyptien, qui porte le nom de « Frères musulmans », avait cependant été créée sous sa présidence. « Cette association que l’on parle de dissoudre est une coquille vide, explique Clément Steuer, chercheur associé au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej) du Caire et à l’institut oriental de République tchèque. Elle était là pour créer un vague cadre aux "Frères", sachant que la trésorerie de l’association telle qu’elle a été déclarée ne correspond pas du tout à la réalité des Frères musulmans, qui possèdent des entreprises, et qui reçoivent sans doute, même si on ne détient aucune preuve, de l’argent de l’étranger. En elle-même, la dissolution de l'association n’aurait aucune conséquence sur les "Frères". »

Le pouvoir actuel va-t-il aller encore plus loin, et interdire le parti de la liberté et de la justice des Frères, voire tenter d’éradiquer totalement la confrérie ? « Ce serait étonnant, juge Clément Steuer. Même Nasser n’est pas allé jusque-là. Et cela entraînerait une catastrophe économique et sociale d’ampleur dans le pays, puisque les "Frères" gèrent un certain nombre d’entreprises, mais dispensent surtout des services de santé et d’éducation que l’État n’est pas en capacité de prendre à sa charge. Pour détruire la confrérie, il faudrait donc que le pouvoir initie un véritable tournant social, qui changerait profondément le paysage économique du pays. Je ne crois pas qu’il soit question de cela aujourd’hui. » Sur le papier, il n’existe d'ailleurs aucun parti religieux en Égypte. La constitution (depuis 2007), et avant elle la première loi fixant le cadre des partis (1977), posent qu’un parti égyptien ne peut pas être totalement homogène et constitué de militants uniquement musulmans, chrétiens ou de quelque religion que ce soit.  

Signe supplémentaire de la grande complexité de l'actualité politique égyptienne, une bataille est néanmoins en cours au sein du comité des 50 membres mis en place selon la feuille de route énoncée par le général Sissi après son coup d'État du 30 juin (Lire le détail du processus constitutionnel en cours page 3 de cet article.). Une proposition vise de manière quasi explicite les Frères musulmans, car elle ajouterait à l'article existant dans l'actuelle constitution l’interdiction de créer un parti qui pratiquerait dans le même temps une activité sociale et/ou disposerait d’une organisation secrète, ou d'une branche armée, ou paramilitaire.

« Cet ajout sera mis en débat, mais je pense que l’on se dirige davantage, si jamais tel était au final le choix du pouvoir, vers une interdiction des Frères musulmans pour une question d’ordre public et d’atteinte à la sécurité de l’État, que via une interdiction totale des partis religieux avec un texte plus strict, ce qui aliénerait à la coalition au pouvoir le parti salafiste Noor, dont l'armée a besoin », commente le chercheur Clément Steuer.

L’interdiction du parti de la liberté et de la justice, celui des Frères, serait pour la confrérie autrement plus problématique que la disparition de l'association. Mais ils auraient alors toujours le loisir de se présenter en tant que candidats indépendants aux prochaines élections, comme sous l’ancien régime. Une jurisprudence de 1987 de la cour constitutionnelle égyptienne pose que l’on ne peut pas empêcher un candidat indépendant de se présenter.

1 000 morts, plus de 2 000 arrestations chez les « Frères »

Pour la confrérie, le problème majeur aujourd’hui vient de la répression féroce et de l’acharnement judiciaire qui visent ses cadres et militants, et demeurent facteurs d’une grande désorganisation. Plus de 1 000 personnes, en majorité des militants des Frères musulmans, ont péri depuis la mi-août sous la répression conjointe de la police et de l’armée. Mardi 3 septembre, un tribunal militaire égyptien a condamné un membre des Frères musulmans à la prison à perpétuité, et 51 autres à des peines de réclusion pour l’agression de militaires dans la ville de Suez.

Les militants islamistes jugés mardi étaient accusés d’avoir tiré à la chevrotine et jeté des pierres sur les soldats. Les condamnations prononcées par la justice militaire concernent des violences s’étant produites après la dispersion de partisans du président destitué Mohamed Morsi au Caire le 14 août, au cours de laquelle plusieurs centaines de « Frères » furent tués par les forces l’ordre. Le Guide suprême de la confrérie Mohamed Badie, Mohamed Morsi et plusieurs de ses principaux dirigeants répondent actuellement devant la justice d'« incitation au meurtre » de manifestants.

Dans de telles conditions, les « Frères » auront-ils à nouveau les moyens de mobiliser autour d'eux plusieurs milliers de sympathisants dans les mois à venir pour maintenir la pression sur la coalition gouvernementale et l’armée ? « Les Frères musulmans continuent de publier des communiqués en expliquant que lors des manifestations du 30 août, il y a eu plus de manifestants dans toute l’Égypte que pendant toute la révolution du 25 janvier, rapporte la chercheuse Marie Vannetzel, spécialiste des « Frères ». C’est donc avant tout une guerre de l’image qui est à l’œuvre. Je ne crois pas que la popularité des "Frères" puisse se mesurer dans l’absolu, elle est forcément contextuelle, comme on le voit depuis trois ans. Le pouvoir les a frappés très durement. Nous étions à 2 095 arrestations au 30 août, au niveau des dirigeants, mais aussi des militants de base. Cela a forcément un effet dissuasif sur la mobilisation. »

La confrérie s’apprête-t-elle pour autant à retourner dans la clandestinité comme par le passé ? La chercheuse ne le pense pas : « Leur image est considérablement dégradée, à la fois du fait de l’échec dans leur exercice du pouvoir, de la propagande de l’armée expliquant qu’elle était en "guerre contre le terrorisme", et puis de la violence que les militants des "Frères" ont eux-mêmes pratiquée (lire ici le communiqué d’Amnesty International), rappelle Marie Vannetzel. Même si l’on ne dispose que de peu de données aujourd’hui pour le mesurer, il est évident que tout cela a profondément changé le rapport des "Frères" à la société, et de la société aux "Frères". »

Isolés, les Frères le sont certainement sur le plan médiatique. La justice égyptienne a ordonné mardi la fermeture définitive de quatre télévisions, dont une filiale égyptienne d’Al-Jazeera et la chaîne des Frères musulmans. Outre Al-Jazeera Mubasher Misr et Ahrar 25, le tribunal administratif du Caire a également ordonné la fermeture de deux autres chaînes islamistes, Al-Quds et Al-Yarmouk.

La chaîne satellitaire qatarie Al-Jazira a récemment évoqué une « campagne » menée contre elle, en particulier depuis que ses locaux ont été fouillés dès le 3 juillet, après qu’elle eut diffusé une vidéo dans laquelle Mohamed Morsi se disait le seul président « légitime » d’Égypte. Dimanche 1er septembre, trois journalistes indépendants étrangers travaillant pour la chaîne qatarie en anglais ont par ailleurs été expulsés d’Égypte. Un correspondant d’Al-Jazeera en langue arabe, Abdallah al-Chami, et un caméraman de la station égyptienne de la chaîne satellitaire, Mohamed Badr, ont en outre été détenus pendant plus d’un mois, selon Al-Jazeera. Les autorités et les médias locaux accusaient la chaîne qatarie de couvrir de façon partiale les événements sanglants qui ont suivi la destitution de Mohamed Morsi.  

« Il y a depuis deux mois une guerre des médias, qui est clairement à l’avantage des généraux, car ils ont derrière eux tout l’appareil médiatique d’État, commente Marie Vannetzel. L’impact va être important. La filiale d’Al-Jazeera était regardée par une large partie de la population égyptienne. Pour les "Frères", cela va devenir très compliqué de communiquer. Reste internet, et encore : le site du parti en arabe était inaccessible ces derniers jours… »

Dans ce contexte de guerre médiatique permanente, où la rumeur fait le jeu du pouvoir en place, l’armée continue de bombarder le Sinaï pour lutter contre plusieurs groupes terroristes. Et, jeudi 5 septembre, une attaque a visé le convoi du ministre de l'intérieur égyptien, Mohammed Ibrahim, alors qu'il circulait dans les rues du Caire. L'explosion a frappé le convoi du ministre à proximité de son domicile, dans le quartier de Nasr City. Mohammed Ibrahim est ensuite apparu à la télévision d'État pour dénoncer « une lâche tentative » d'assassinat. Il a affirmé que « quatre voitures » de son escorte avaient été détruites par une « bombe déclenchée à distance » et a évoqué « de nombreux blessés dans le convoi ». « J'avais prévenu avec la dispersion qu'il y aurait une vague de terrorisme (...) Même si je deviens un martyr, un autre ministre de l'intérieur viendra pour continuer la guerre contre le terrorisme », a-t-il ajouté. L'attaque, qui n'a pas encore été revendiquée, a été « condamnée énergiquement » par les Frères musulmans.

Une coalition gouvernementale en place malgré tout

Dans ce climat proche du chaos, où l’économie demeure très affaiblie, comment l’armée est-elle parvenue à bâtir le nouvel exécutif ? La nomination début juillet d’Adly Mansour, ancien président de la cour constitutionnelle, au poste de président de la République par intérim, participait de l’idée de Sissi de s’appuyer sur un corps judiciaire qui s’était illustré par sa résistance à l’administration Morsi, lorsque celui-ci avait tenté de passer en force, notamment sur la mise en place d’une nouvelle loi électorale. Le nouveau premier ministre Beblaoui a ensuite fait consensus autour de son statut d’économiste à la réputation internationale.

Propulsé vice-président en charge des relations internationales, Mohammed El-Baradeï contribuait également à l’équilibre des forces au sein de ce nouvel appareil. Le gouvernement a ensuite été composé pour ménager un équilibre entre tous les courants qui ont appuyé le coup d’État du 30 juin. Le général Sissi et le ministre de l’intérieur Ibrahim, dont les forces de l’ordre ont largement contribué par leur passivité au coup d'État, ont conservé leur poste, ainsi que plusieurs ministres au profil de technocrates nommés aux lendemains de la révolution de janvier 2011.

Un fait marquant : la nomination de l’ancien gouverneur d’Alexandrie, Adel Labib, au poste de ministre du développement local. Ancien cadre du PND d’Hosni Moubarak, Adel Labib était en poste en 2010 à l’époque de la mort du jeune Khaled Saïd, tué par les forces de l’ordre dans un cyber-café. Un meurtre qui a contribué au soulèvement de la population et à la révolution égyptienne. Son intégration au gouvernement a été largement interprétée comme un signe envoyé aux partisans de l’ancien régime par l'armée, qui cependant a vu très large : Parti sociale démocrate, Wafd (l'un des plus anciens partis égyptiens), partis nassériens… C’est au final l’ensemble du spectre libéral égyptien que Sissi est parvenu à capter, dont le fondateur du premier syndicat égyptien indépendant en 2008 (celui des contrôleurs des impôts), à la tête depuis 2011 de la première fédération des syndicats indépendants (3 millions de salariés), Kamal Abou Eita, propulsé ministre du travail et de l’immigration.

La sanglante répression contre les Frères musulmans, et les centaines de manifestants tués par l’armée à partir du 14 août, n’ont pas ébranlé cet édifice savamment construit. En dehors de Mohamed El-Baradeï et du porte-parole du Front national du salut – l’ancienne coalition d’opposition aux Frères qui a par la suite justifié la répression –, aucune figure marquante de la coalition gouvernementale n’a démissionné. En dehors du gouvernement, plusieurs partis ont même soutenu la répression de l’armée, comme le parti communiste, la coalition populaire et socialiste, et le principal parti salafiste, Noor.

Les points de litige entre les différentes organisations se situent davantage dans les décisions constitutionnelles à prendre dans les prochains mois. La feuille de route, qui a valeur de déclaration constitutionnelle, annoncée par Sissi le 30 juin, prévoyait la formation d’un comité d’expert pour amender la constitution et proposer ses amendements à un comité plus large, de 50 membres. Ce comité d’experts a rendu ses travaux à la fin du mois d’août. Les 50 membres ont été nommés et devraient se réunir à compter du 8 septembre. Seuls trois d’entre eux représentent les courants islamistes et sont issus d’un parti salafiste. Dans les débats à venir, plusieurs ne manqueront pas de diviser la coalition gouvernementale bien davantage que ce que ne l'a fait la répression sanglante contre les Frères musulmans.

L’article 2 de l’actuelle constitution, lui-même repris du texte en vigueur sous Moubarak et qui pose la Charia comme source principale de la législation, va demeurer inchangé. Le litige porte en revanche sur l’article 219, ajouté en 2012 par les « Frères », qui précise ce que l’on entend par Charia, et la lie aux quatre écoles juridiques sunnites égyptiennes. Arguant que ces références aux écoles permettaient de faire appel à des jurisprudences et rendraient donc effective la référence à la Charia, dans les faits quasi virtuelle jusque-là, menaceraient le droit des femmes et des minorités ainsi que l’indépendance de la justice civile, le comité d’experts propose de supprimer cet article. Le parti salafiste Noor, qui a accepté de participer au comité de 50 membres, menace à l’opposé de s’en retirer si l’article 219 disparaît du texte constitutionnel.

Autre point de litige : le futur mode de scrutin. Le comité des experts a proposé de revenir au scrutin individuel, quand les précédentes élections se sont déroulées selon les règles d’un scrutin mixte, avec les deux tiers des sièges élus à la proportionnelle. Le comité souhaite en outre que soit supprimé le quota des sièges réservés aux ouvriers et aux paysans. Il s’agirait donc de revenir à l’ancien système des années 2000, en réduisant en outre par deux la taille des circonscriptions, pour n’y élire qu’un député au lieu de deux, dont au moins un attribué aux ouvriers/paysans. Un système qui avantage très clairement les notables locaux, au détriment des nouveaux partis politiques, et favorise donc les partisans de l’ancien régime. La crainte d’un retour à l’ère de Moubarak mobilise tout le champ de l’ancienne opposition, des salafistes à la gauche nassérienne, sans compter le mouvement des jeunes révolutionnaires. Ici, se situera sans doute le combat politique majeur dans les mois à venir.  

Concernant les prochaines élections présidentielles, la feuille de route prévoit que le comité de 50 membres dispose en théorie de deux mois pour rendre ses travaux. Un référendum doit ensuite être organisé dans un délai de deux semaines. Les élections législatives doivent par la suite se dérouler deux mois après le référendum, et la date de l’élection présidentielle doit être annoncée dans le mois qui suit l’élection du parlement. « Tout cela reste cependant au conditionnel, explique le chercheur Clément Steuer, puisque la feuille de route, qui a valeur constitutionnelle, a vocation à être remplacée par la future constitution, approuvée par le référendum. Or il y a de fortes chances pour que la constitution prévoie un nouveau calendrier pour la suite des événements. » 

Y a-t-il un plan Sissi pour rétablir l'ancien régime ?

En tapant fort, en choisissant de réprimer les manifestations dans le sang pour décourager les mobilisations des Frères musulmans, qui ne se mobilisent plus dans la rue par dizaines de milliers comme au plus fort de l’été, le général Sissi n’a-t-il pas, au bout du compte, doublement réussi son « coup », et manœuvré pour favoriser le retour de l’ancien régime, dans une Égypte désormais à l’abri des regards médiatiques ?

« Je ne crois pas que nous observions déjà le retour du régime d’Hosni Moubarak, tempère Yasmine Nagaty, analyste diplômée en sciences politiques et salariée au sein d’une ONG au Caire. Beaucoup d’Égyptiens font ce raisonnement après avoir suivi le procès Moubarak (l’ancien président a été remis en liberté conditionnelle le 21 août 2013). Mais il est important de noter que le fonctionnement des tribunaux est avant tout basé sur des preuves, et que nous n’en avons pas aujourd’hui dans le dossier Moubarak, tel qu’il a été monté. De mon point de vue, nous avons d’ailleurs loupé l’occasion au lendemain de la révolution, quand nous aurions dû monter des tribunaux révolutionnaires ad hoc. »

Voir la période actuelle, du coup d’État à la fermeture des télévisions, comme le plan de Sissi pour rétablir l’ancien régime, ne satisfait pas non plus Clément Steuer : « C’est une grille de lecture limitée, car on oublie un peu vite que le 30 juin, les partisans de l’ancien régime n’étaient pas, loin s’en faut, les seuls à manifester dans la rue, rappelle le chercheur. Ce n’est pas non plus l’armée qui a appelé à manifester. Beaucoup de forces révolutionnaires, y compris celles les plus opposées au pouvoir transitoire actuel, comme les jeunes de 6 avril ou les socialistes révolutionnaires, avaient appelé à descendre dans les rues. Pour tous les révolutionnaires, le 30 juin 2013 constitue la deuxième révolution. La première a permis de se séparer du Parti national démocratique (PND, de Moubarak), la seconde, des Frères musulmans. Les deux voies auxquelles le monde arabe est confronté depuis des décennies. C’est un succès de la révolution, mais aussi, il faut bien le dire, de la contre-révolution, puisque c’est l’armée qui a chassé Morsi, appuyée par la police dont on observe le retour, et par les anciens du PND et les hommes d’affaires, dont certains proches de Gamal Moubarak, et enfin par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (actuellement en discussion pour accorder une aide de deux millards de dollars à l'Égypte). Les "Frères" ont eu tous ces éléments contre eux. »

« Mais dire que la contre-révolution triomphe, cela reste exagéré, poursuit le chercheur. Ne serait-ce que parce que figurent dans le gouvernement des membres de l’opposition progressiste, qui n’avait jamais été dans un gouvernement auparavant. C’était d'ailleurs l’une des revendications des révolutionnaires fin 2011 à l’époque des événements de la rue Mohammed-Mahmoud. La limite, c’est qu’il est vrai aujourd’hui que les réseaux des partis de l’ancien régime se sont reconstitués, et qu’ils essaient de reprendre le contrôle. L’appareil de sécurité et la police ont été restaurés tels qu’ils étaient avant le 25 janvier 2011. Mais, encore une fois, il n’y a pas eu un retour au contrôle du champ politique tel qu’avant 2011, pas de reconstitution du PND. Et le mode de scrutin proposé par le comité a contre lui l’ensemble des forces libérales, révolutionnaires, et les quelques islamistes qui soutiennent le gouvernement. » 

Sur cette réforme du mode scrutin, un compromis devra être trouvé pour que la constitution soit approuvée par les Égyptiens par référendum. Car même dissous, les Frères musulmans bénéficieraient encore de puissants relais au sein de la société, et se mobiliseraient contre le retour au scrutin individuel. L’Égypte a encore plusieurs mois de bataille politique devant elle.

 

 

 

 

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